Conseillé par (Libraire)
18 juillet 2024

Vous rappelez-vous la nuit où Thalia... ?

Bodie Kane, journaliste animant un podcast sur le traitement des femmes dans le cinéma, revient vingt ans plus tard dans l'établissement où elle a fait son lycée. Durant les quatre années de sa scolarité à Granby, elle a noué des amitiés, fait face à l'humiliation et à la cruauté de certains camarades, appris beaucoup sur elle-même et sur les autres, pleuré la mort de son idole Kurt Cobain, mais surtout, un souvenir en particulier la hante... Celui de Thalia, sa coloc d'internat, retrouvée assassinée dans la piscine du gymnase, son corps flottant dans le bassin, les cheveux emmêlés à la ligne de nage. L'enquête a bien conclu que le préparateur sportif noir de l'époque faisait un coupable idéal et le tribunal l'a envoyé en prison fissa. Mais depuis tout ce temps, Bodie doute. Et elle n'est pas la seule. Dans son cours, ses élèves doivent préparer un podcast et il se trouve que l'une d'elles s'intéresse au meurtre de Thalia... A la fois fébrile et méfiante, Bodie se replonge dans ses souvenirs de l'époque. Avec ses yeux d'adulte, alors que la vague MeToo est passée par là, l'ex ado gothique mal dans sa peau réalise à quel point certains comportements étaient suspects voire dangereux, à quel point déjà la domination masculine faisait son œuvre, marquant les corps, formatant les esprits, dans un établissement en apparence bon chic bon genre comme il en existe tant et qui ne tiennent surtout pas à voir leur image ternie par des scandales... ou des crimes. Mais avant que l'irréparable se produise, il y a eu des mots, des gestes, des regards, des attitudes. Tout tourne et retourne dans la mémoire de Bodie. Que croire ? La mémoire occulte, transforme, se nourrit autant de réel que de rumeurs et des attentes que l'on formule, elle comble les vides. Plus elle y pense, plus elle est sûre d'une chose : Omar Evans est innocent. Elle n'en dirait pas autant d'un certain professeur à qui elle brûle de poser quelques questions.
Ce roman est à la fois une plongée fascinante dans les rouages d'une possible erreur judiciaire et une analyse fine et intelligence sur la façon dont nous fonctionnons, en tant qu'humain et en tant que société. Le besoin de justice et de réponses nous sont indispensables, mais comment rendre correctement la justice quand nous sommes si influencés par nos propres biais et nos préjugés ? Qu'opposer face à une violence provenant du système et de notre modèle de société tout entier, qui ferme encore les yeux sur certaines violences et en minimise la gravité, aujourd'hui, comme il y a vingt ans ? On en sort émues et bouleversées, tant certains passages résonnent avec nos rubriques faits divers et nos journaux télévisés. Quel roman !

20,90
Conseillé par (Libraire)
3 septembre 2024

Feu, cendres, secrets

Quel enchantement que ce livre ! La langue de Céline Laurens est d'une puissance évocatrice et d'une poésie à la hauteur de ce récit mystérieux, choral et mélancolique. Tout y est juste et profond, les personnages nous touchent droit au cœur parce qu'ils sont intensément humains : imparfaits, plein de paradoxes, mais malgré tout dignes d'amour et de compassion. A l'image de la lame de tarot qui donne son titre au livre, cette carte redoutée, épreuve la plus cruelle du jeu de la vie, le récit nous ouvre les portes de l'intimité des uns et des autres et nous découvrons comment chacun, un jour, a fait face à la plus terrible désillusion de son existence. La Maison-Dieu ébranle nos croyances, balaie nos certitudes et nous rejette comme des presque noyés sur le rivage, nus et hagards, après la tempête. Parmi toutes, la plus terrible est la blessure d'orgueil ! Esther, Justin, Armand, Mallora, Abel, Adélaïde... Tous et toutes y passeront. Vont-ils se briser, se résigner ? Comment survivre à des rêves partis en fumée quand le tic-tac de l'horloge égrène ses heures sans pitié ?

Tout commence par un incendie. Une magnifique demeure bourgeoise se consume dans la nuit et la fumée s'élève encore dans le ciel au petit matin, alors que la veille encore au village, la fête battait son plein. On ne reverra plus ni Madame, ni Monsieur, ce couple énigmatique, qui depuis des années vivait chacun à un étage, se parlant à peine, hormis les soirs d'orage. Successivement, l'autrice nous fait pénétrer les pensées et les souvenirs des habitants de cette maison et de certains de leurs voisins. Derrière la belle façade, des âmes rêvaient, projetaient leur fuite, ressassaient leurs erreurs, s'aimaient et se haïssaient tout à la fois ou refusaient de grandir. L'un d'eux serait-il responsable du désastre ? Et puis il y a Elise, le rayon de soleil, grâce à qui peut-être tout ne s'est pas complètement écroulé, avant et après le feu... Splendide, à lire absolument !