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Conseillé par Ludivine F. (Libraire)29 septembre 2024
Un pays très ancien où nous nous sommes aimés
On ressort de cette lecture avec une larme au coin des yeux et le sentiment d'avoir écouté les confidences d'une amie chère, sur un registre à la fois très personnel et très universel. Car nous avons tous vécu l'enfance et sa fin, et pour celles et ceux qui à leur tour ont eu des enfants, il leur a fallu assister, comme témoins cette fois, à la répétition du processus. Le roman s'ouvre sur une situation tout à fait banale qui n'en constitue souvent pas moins un drame personnel. La narratrice voit sa petite dernière quitter le nid, comme l'ont fait ses deux autres enfants avant elle. Pour une maman qui tant d'années durant a sans relâche administré son royaume, veillant au bien-être et à la sécurité de ses petits sujets, dispensant son amour, établissant les règles, accompagnant les grandes étapes de la vie, à la fois reine du château et bergère du troupeau, c'est le vide. Un vide insupportable, gorgé de chagrin.
Pour faire face, elle décide de reprendre sa thèse, abandonnée vingt ans plus tôt, un travail sur les dernières années de Jean-Jacques Rousseau. Celui-ci la ramène très loin en arrière, à l'époque bénie de sa propre enfance. Idéalistes, ses parents fuient la grande ville pour s'installer dans un endroit reculé, au milieu des champs, où ils entendent élever leurs enfants selon les principes de l'Emile : une très grande liberté, le loisir de vagabonder dans la nature toute la journée, l'autonomie et la curiosité avant tout. Ils retapent une vieille demeure en ruine et en font leur royaume. La narratrice s'éveille au chant du coq, ses compagnons sont les fils et filles d'agriculteurs et une ribambelle d'animaux de ferme. Pour elle, le paradis est ici et nulle part ailleurs. A quelques kilomètres se dressait le château d'un autre idéaliste de la fin du XIXe siècle, le marquis de Girardin. Rêveur, passionné de botanique et d'esthétique, il créa sur ses terres un Eden champêtre reflétant ses idéaux d'égalité et de liberté. C'est là-bas que son ami Rousseau passa ses vieux jours et souhaita finir sa vie. Les trois histoires et temporalités se mêlent alors pour nous conter la douceur des idéaux et le cruel retour à la réalité, lorsque l'utopie se fracasse sur la violence des hommes, la politique ou le capitalisme galopant. Il faut alors imaginer la suite, en chérissant ce que l'on a perdu, ou trouver un moyen de le faire exister pour toujours. Pour rendre immortels le petit village qui abrita son royaume et tous ses précieux souvenirs, Gwenaële Robert a choisi la littérature. On est touchés en plein cœur.