Conseils de lecture
La naissance d'un étrange oiseau
Extrêmement prolifique dans son travail d'écrivaine, voici Amélie Nothomb de retour avec son traditionnel roman de rentrée littéraire. Une belle réussite tout en poésie où l'on retrouve son style à la fois très imagé, un brin fantastique mais également épuré : chez elle, pas de grandes phrases à rallonge ni de pavés plein de descriptions et de détails. C'est d'ailleurs, selon elle, la qualité des bons écrivains, ils savent se passer de fioritures et renoncent à en faire trop. Effectivement, force est de constater qu'en suivant ce principe, Nothomb parvient à créer de splendides romans qui nous embarquent dans son intimité et dans la richesse de son univers intérieur, fait à la fois d'épisodes de grande noirceur et d'épiphanies salvatrices porteuses d'espoir.
Dans Psychopompe, elle nous raconte la naissance de sa passion pour les oiseaux, animaux multiformes dont le vol invite au rêve et lui inspire l'une de ses plus grandes résolutions : désormais, elle ne devra rien désirer qui ne soit aussi puissant que le désir fou qui a amené le tout premier dinosaure de la création à acquérir des ailes et à les déployer pour quitter la terre ferme. Certes, cela a pris des millions d'années, mais qu'à cela ne tienne, la jeune Amélie sent qu'elle a trouvé le credo qui la guidera dans la vie. D'abord, elle est un œuf, une personne en train de se former, un potentiel. Oiseau, elle ne le deviendra que plus tard, et c'est dans l'écriture qu'elle trouvera l'expression de son propre envol. Avant d'en arriver là, elle se confie sur l'événement traumatique qui constitua un avant et un après, à l'âge de douze ans, et lui fit entrevoir les ténèbres. Mais alors, cette histoire de psychopompe, quel est le rapport ? Cela, elle vous l'expliquera mieux que nous, de sa plume enchanteresse et avec les accents de mysticisme que l'on adore chez elle. A découvrir !
De sang, d'or, et de mort
Encore une fois, avec "Le portrait de mariage" Belfond, la grande Maggie O'Farrell, dont nous avons tant aimé Hamnet, ou encore I am Iam Iam nous emporte avec le destin de Lucrèce de Médicis, si sensible, si forte, et à la vie si courte. Lucrèce n'aurait jamais du épouser le Duc de Ferrare, avec lequel son père Cosme de Médicis souhaite composer une alliance prometteuse, si sa soeur ainée n'était pas morte prématurément. Qu'a cela ne tienne pour ses parents, et bien sûr quelque soit son avis, on marie Lucrèce, 15 ans, avec le Duc de Ferrare, puissant, ombrageux et obsédé par sa succession. Un an plus tard, la jeune Lucrèce ne sera plus et n'en reste que son portrait, peint par Le Bronzino, le très beau poème de Robert Browning, The Last Duchess ("She had
A heart—how shall I say?")
et maintenant le roman de Maggie O'Farrell.
Elle accomplit ce prodige de nous glisser dans l'intériorité de Lucrèce. Le livre se lit comme "la chronique d'une mort annoncée", et nous ne lâchons pas la main de cette jeune fille empêchée, qui découvre les aspects sombres et somptueux de la riche cour de Ferrare, la beauté de ses palais et de ses jardins, ses intrigues brutales et les différents visages d'un époux ambitieux, impitoyable, et grand amateur d'art. Magnifique plongée dans les beautés et les cruautés de la Renaissance Italienne.
Liées dans la souffrance et dans l'amour
Ce court roman est une véritable perle. Il fait mal autant qu'il émerveille. Il parle d'un deuil impossible (ou du moins qui semble l'être), de la condition féminine à travers les générations, des souffrances que l'on se transmet même sans le vouloir, de ce qui est détruit et de ce qui persiste après. Suite à la perte de sa grande sœur atteinte d'une forme rare de cancer, la narratrice ressasse ses souvenirs d'elle et de leur vie de famille. Cette sœur aimée dont la vie a été jonchée d'épreuves et qui n'arrivait pas à s'accepter elle-même. Cette sœur protectrice et parfaite qui la rassurait les nuits d'orage. Celle-là aussi qui lui avait longtemps gardé rancune d'être née pour accaparer toute la tendresse maternelle. Véritable lettre d'amour à un être cher disparu, ce livre a une portée universelle par les thèmes abordés et touche droit au cœur. Entre les pages se dessine la nostalgie et la colère de l'autrice pour ce que les hommes font subir à la nature, sans égards pour la beauté du vivant, pillant, écrasant et cherchant à dominer jusqu'à la moindre brindille, et le corps des femmes subit de même, en écho. Malgré tout, au détour de quelques phrases, la mélancolie se retire un instant et un rayon de soleil perce, lorsque l'autrice évoque sa fille, être joueur et innocent, amoureuse d'une vie dont elle ne soupçonne pas encore la dureté, et qu'elle regarde grandir avec émotion. Bouleversant !
Cette mère dont nous ne savions rien
Byron et Benny sont frères et sœurs, autrefois très proches, aujourd'hui fâchés. Benny n'a pas vu sa famille depuis longtemps, mais lorsqu'elle apprend le décès de sa mère, elle revient dans la maison familiale et retrouve ce frère avec qui les relations sont toujours très compliquées. Une entrevue avec l'avocat de leur mère, Mr Mitch, va les plonger dans un tourbillon émotionnel auquel ni l'un ni l'autre n'aurait pu s'attendre. Avant de mourir, Ma avait enregistré un long message dans lequel elle tenait à raconter sa vie à ses enfants. Toute sa vie. Celle qu'elle était enfant, lorsqu'elle vivait sur une petite île des Antilles. Celle qu'elle était adolescente, nageuse exceptionnelle, abandonnée par sa mère, élevée par un père alcoolique et endetté, offerte en mariage à un escroc violent pour améliorer la situation économique de la famille. Et celle qu'elle fût ensuite après des événements tragiques qui la poussèrent à réinventer toute son existence. Pour cela, Ma parlera aussi d'autres personnes, ses amis, ses amours, ceux qui l'ont aimée et ceux qui lui ont fait du mal. Si Benny et Byron pensaient connaître leurs parents, ils ne sont pas au bout de leurs surprises...
L'histoire est émouvante de bout en bout, mais elle est aussi très attachée à présenter des personnages ayant vécu des discriminations en fonction de leur couleur de peau, de leur milieu social ou de leur orientation sexuelle. Il est donc à la fois un roman puissant, une saga familiale passionnante et un récit engagé. Le rythme est haletant, le récit de Ma, énigmatique, nous accroche dès les premières pages. Un grand plaisir de lecture et une très bonne découverte !
Le tourment d'être soi-même
Très beau, très touchant, très précis et viscéral dans la description des tourments intérieurs et physiques du personnage, ce premier roman d'Alana Portero nous a subjuguées et serré le cœur.
A l'instar de l'autrice, la narratrice naît au sein d'un quartier ouvrier de Madrid. Garçon à la naissance, elle sent pourtant très tôt qu'elle ne sera jamais un "bonhomme" et s'identifie plutôt aux femmes de son entourage. Ses premières années de questionnement de genre sont marquées par le secret, la honte et la peur d'être découverte. Elle sait en effet comment sont traitées les personnes "anormales", celles qui s'habillent de fanfreluches et se font regarder de travers, comme sa voisine d'en face, surnommée La Perruque, dont elle suit les allers et venues par sa fenêtre. Plus tard, avançant dans la vie, elle croisera le chemin de quelques belles créatures : anges des quartiers queer et saintes des trottoirs, trans, gays ou travestis, qui lui accorderont leurs bénédictions. Mais les démons sont plus nombreux et la peur est toujours là. A travers son histoire singulière, la narratrice nous conte l'histoire de toutes celles et ceux qui souffrent de ne pas exprimer à la lumière leur être véritable, qui vivent à la marge et subissent jour après jour une violence qui peut dans certains cas mener jusqu'à la mort, qu'elle soit physique ou psychologique. Il faut énormément de courage, nous dit-elle, pour simplement être soi-même. Un récit indispensable pour comprendre en profondeur ce qu'est la transidentité et se plonger avec curiosité et empathie dans d'autres vies que la sienne. Bravo !