Que Fred Vargas publie un nouvel opus de la série des Adamsberg ne pouvait que réjouir ceux qui ont aimé les enquêtes du fantasque et rêvasseur commissaire jusqu'à "Quand sort la recluse", le dernier roman arachnéen de l'autrice, et qui n'ont pas trouvé leur bonheur dans les deux volumes de "L'Humanité en péril", des essais alarmants sur le changement climatique.
Ne cherchez pas sur la carte, Louviec n'existe pas. C'est pourtant dans ce village près de Combourg que se déroule ce roman. Y vit un Josselin de Chateaubriand qui ressemble beaucoup à son ancêtre et qui attire beaucoup les touristes. C'est un petit village calme où rien de grave ne se passe.
C'est pour une réunion administrative qu'Adamsberg se rend en Bretagne. Il va retrouver le commissaire de Combourg, Franck Matthieu, avec qui il a bien travaillé, de longs mois, sur des crimes très crapuleux. Matthieu en profite pour lui faire connaître Chateaubriand et son histoire.
Après son retour à Paris, Matthieu le rappelle. Un crime a été commis à Louviec, par un gaucher, avec "un couteau Ferrand". Le problème est que le tueur aurait acheté plusieurs de ces coteaux onéreux et fort reconnaissables…
Vargas ne manque pas de nous fournir une galerie de gens bizarres, un descendant de Chateaubriand qui va aux champignons alors qu'il n'en mange pas, un bossu qui se fait retirer sa botte, des gens qui refusent que l’on marche sur leur ombre et d'autres qui marchent sur les ombres des premiers… La nuit, il arrive qu'un fantôme fasse entendre la jambe de bois du Boiteux. Dans ce petit village, Johann, l'hôtelier, est capable de nourrir au pied-levé tout un escadron de gendarmes. Bien sûr, les personnages portent des noms bretons.
Adamsberg se fait confier l'enquête qu'il mène avec Matthieu. Il emmène avec lui une partie de son équipe parisienne, elle aussi originale, dont Mercadet, l'informaticien qui souffre d'hypersomnie, Rétancourt, une puissante et forte femme.
Fred Vargas a l'élégance de faire en sorte que même ceux qui ne connaissent la galaxie d'Adamsberg s'y retrouvent rapidement. Et comme Danglard est toujours en fonction, on a le droit à un cours sur Chateaubriand.
Mais il y a des points faibles. L'intrigue est moyennement crédible. Comme les meurtres se succèdent, une armée de policiers envahit le village, allant même jusqu'à l'encercler. On a du mal à ne pas se perdre dans les nombreuses rues de Louviec. Les très -trop- nombreux policiers mangent beaucoup sans qu'on nous donne toujours les menus. L'hôtelier est généreux avec le chouchen qu'il sert aux policiers comme si c'était du lait ribot.
Le roman se lit fort agréablement et est correctement addictif. Disons qu'au regard de bien d'autres romans policiers, "Sur la dalle" tient la route grâce à tous les personnages fantaisistes, aux comportements extravagants de certains, à l'excentricité du commissaire "pelleteux de nuages", au suspense qui tient jusqu'au dernier chapitre, à la manière de raconter de Fred Vargas. Mais les lecteurs de "L'Homme aux cercles bleus" ou de "Quand sort la recluse" ont connu beaucoup mieux. Peut-être que pour "Sur la dalle", 509 pages, c'est trop ?
Deux familles ont quitté Marseille pour aller peupler l'Algérie vers 1850. Il y a Séraphine, son mari et ses deux enfants, le couple de sa sœur et de son mari. Ils arrivent dans une colonie agricole qui semble perdue au fin fond du pays, lin de tout. Çe qui devait être un coin de paradis est un désastre.
Séraphine se sait abandonnée, elle scande "Sainte et sainte mère de Dieu, pourquoi nous avez-vous abandonnés", une litanie qui accompagne le récit de la décomposition de son rêve. Le choléra tue ses deux enfants et son beau-frère, les baraques à construire en bois, le soleil brûlant, le froid glacial, les pluies trop abondantes, l'angoisse d'une attaque de pillards ou des lions.
L'autre narrateur est un soldat anonyme et obéissant à son chef, un homme brutal dont la conception de la colonisation se réduit à tuer les hommes, violer les femmes et piller les gourbis avant de les incendier. Il braille sans cesse "Nous ne sommes pas des anges". Il le démontre par une brutalité infinie, une inhumanité culminant dans le meurtre d'un vieil homme qui proteste avec douceur contre le viol des femmes "Ce sont nos femmes, sidi mon commandant".
Ces deux voix qui alternent racontent une effroyable conquête de l'Algérie. On attend en vain un sursaut, un peu de calme. Il faut se résoudre, il n'y aucun espoir, aucun salut, sauf peut-être à admettre l'échec et à quitter le pays. Ce récit litanique aux longs couplets est d'une tristesse infinie, un chant de l'absurde et de la sauvagerie humaine.
Jean Eimer a traversé les Pyrénées par le Gr10 dans les années 1980. 39 jours en solitaire dans la montagne laissent des traces dont il a fait le récit dans le journal Sud Ouest et dans un album, La Traversée des Pyrénées (Cairn, 1989). Cette édition reprend son récit en l'augmentant de notes qui n'avaient pas été exploitées dans le cadre du reportage.
Même si son récit n'a pas la précision d'un topoguide, ceux qui ont fait cette traversée constateront que le chemin n'est plus tout à fait le même. Il a subi quelques modifications de tracé, des gîtes sont mentionnées qui n'existent plus et d'autres, nouveaux, ne sont pas cités.
Précisons le niveau du parcours du Gr10 : 922 km, 58.000 mètres de dénivelé positif et négatif, une moyenne de 355 heures de marche en une cinquantaine de jours. C'est le plus complexe et difficile des Gr français.
Il a effectué sa traversée en bivouac, très à l'écoute des personnes rencontrées, des paysages, des écosystèmes, de l'économie. Il rend bien compte de la beauté de la montagne, de l'influence qu'elle a sur la personne qui la traverse, sur son physique, sur son comportement, sur sa philosophie de vie. Il laisse transparaître la réponse à la question de savoir pourquoi on se lance dans une telle traversée, exigeante, rugueuse, mais aussi éblouissante, riche d'enseignements au plan humain. C'est bien pour cela que le randonneur se lance dans cette aventure : pour aller au bout de lui-même, pour se redécouvrir, pour s'enrichir des rencontres des hommes, et aussi de la rencontre avec une nature magnifique, forte et fragile en même temps
Emma Becker explore les méandres du désir féminin pour les femmes et s'intéresse à la construction des identités sexuelles et sensuelles
C'est un rêve érotique et cauchemardesque qui rappelle à Emma l'existence d'Odile qui a été son amie de jeunesse. Elle n'a pas été en contact avec elle depuis près de quinze ans. Grâce aux réseaux sociaux, elle sait qu'elle est vivante, mariée, qu'elle a un enfant, qu'elle vit dans le sud de la France, dans une maison qu'elle connaît.. Elles avaient un endroit secret "derrière un buisson de lentisque" où elle jouait à ce jeu qu'elles avaient inventé "On n’a qu’à dire que je serais un garçon et toi tu serais une fille et on serait amoureux…". On saura tous les détails de "ces moments de battement où aucun jeu sain ne nous vient à l’esprit".
Mais le plus intéressant et le plus excitant est le récit des expériences vécues quand elles sont devenues majeures, qui portent la trace de leurs expériences enfantines. Emma est convaincue que c'est Odile qui a eu sur elle "une influence délétère", quand elle feignait de considérer qu'Emma ne l'intéressait pas, quand elle jouait le rôle du prince dans un remake de La Belle au bois dormant qui a conditionné son rapport à la jouissance, un conte où la femme reçoit et l'homme donne. Son plaisir est de faire jouir l'autre, son plaisir est plus intellectuel que physique. Emma est aussi convaincue que l'homosexualité féminine est naturelle et que l'hétérosexualité est un instinct fabriqué par la société, une construction sociale, "il n'y a pas d'amour pour les hommes qui se fasse sans dressage". Ces deux femmes, et toutes les autres, ont-elles le droit et la possibilité d'avoir une vie sexuelle à elles, dont elles décident et qui les comblent ?.
Dans ce livre, on ressent le plaisir d'écrire d'Emma Becker qui lui permet de comprendre la vie. L'ouvrage explore le désir féminin, hors du regard des hommes et de leur emprise. La conversation d'Emma avec Odile se déroule dans une belle tendresse, sans qu'on sache toujours ce qui est de l'ordre du fantasme, de leur réflexion intellectuelle, de leurs réalités, mais n'est-ce pas là le statut de cette littérature qui n'est pas possible sans la projection, l'imaginaire, la sensualité.
C'est un rêve érotique et cauchemardesque qui rappelle à Emma l'existence d'Odile qui a été son amie de jeunesse. Elle n'a pas été en contact avec elle depuis près de quinze ans. Grâce aux réseaux sociaux, elle sait qu'elle est vivante, mariée, qu'elle a un enfant, qu'elle vit dans le sud de la France, dans une maison qu'elle connaît.. Elles avaient un endroit secret "derrière un buisson de lentisque" où elle jouait à ce jeu qu'elles avaient inventé "On n’a qu’à dire que je serais un garçon et toi tu serais une fille et on serait amoureux…". On saura tous les détails de "ces moments de battement où aucun jeu sain ne nous vient à l’esprit".
Mais le plus intéressant et le plus excitant est le récit des expériences vécues quand elles sont devenues majeures, qui portent la trace de leurs expériences enfantines. Emma est convaincue que c'est Odile qui a eu sur elle "une influence délétère", quand elle feignait de considérer qu'Emma ne l'intéressait pas, quand elle jouait le rôle du prince dans un remake de La Belle au bois dormant qui a conditionné son rapport à la jouissance, un conte où la femme reçoit et l'homme donne. Son plaisir est de faire jouir l'autre, son plaisir est plus intellectuel que physique. Emma est aussi convaincue que l'homosexualité féminine est naturelle et que l'hétérosexualité est un instinct fabriqué par la société, une construction sociale, "il n'y a pas d'amour pour les hommes qui se fasse sans dressage". Ces deux femmes, et toutes les autres, ont-elles le droit et la possibilité d'avoir une vie sexuelle à elles, dont elles décident et qui les comblent ?.
Dans ce livre, on ressent le plaisir d'écrire d'Emma Becker qui lui permet de comprendre la vie. L'ouvrage explore le désir féminin, hors du regard des hommes et de leur emprise. La conversation d'Emma avec Odile se déroule dans une belle tendresse, sans qu'on sache toujours ce qui est de l'ordre du fantasme, de leur réflexion intellectuelle, de leurs réalités, mais n'est-ce pas là le statut de cette littérature qui n'est pas possible sans la projection, l'imaginaire, la sensualité.
Avec un titre aussi racoleur, on pouvait craindre le pire, il n'en est rien. Selon Metin Arditi, Jésus est né de Marie violée par un soldat romain. Enfant, il a été rejeté par ceux de son village, comme sa mère, et en a beaucoup souffert. C'est cette exclusion injuste qui a nourri sa colère contre tous ceux qui ne respectent pas les plus petits, les plus faibles, les muets et les aveugles, les lépreux. Quand il entend des docteurs de la Loi dire qu'elle "est dure, mais [qu'] elle a tout son sens. Notre peuple ne doit compter que sur lui-même. Son devoir est de se protéger de ses éléments les plus faibles", il ne peut que réagir avec force et se demander ce "qu’était cette religion qui humiliait l’innocent et récompensait celui qui obéissait sous la menace ?" Il critique le Baptiste qui effraie les gens pour les convaincre de se faire baptiser. Il se fâche avec les marchands du temple qui "s’enrichissent sans vergogne" aux dépens des miséreux.
Jésus est fier de sa mère qui se montre d'une grande douceur, fier de son père dont il sait qu'il aurait pu répudier Marie. Qu'il soit tendrement amoureux de la belle Marie de Magdala qui vient s'occuper de sa mère après la mort de Joseph n'est pas si surprenant. Jésus est charpentier comme son père. Il est aussi guérisseur, mais ne fait pas de miracles. Celui que met en scène Metin Arditi est l'homme de Nazareth, pas le Messie, pas le Christ. Autre liberté que prend le romancier, c'est de faire de Judas celui qui pousse Jésus à ne pas renoncer à ses valeurs, à créer un groupe de fidèles, même en risquant la mort sur la croix, qui incite les disciples à mentir pour faire croire à la résurrection et qui prend la tête de la jeune secte qui deviendra la religion chrétienne.
Avec un vrai talent de conteur, et ayant lu des exégètes reconnus et sérieux, Metin Arditi réinterprète une religion doublement millénaire en montrant un Jésus très humain. Son Jésus est un homme attachant et qui mène un combat auquel tout homme de bonne foi peut adhérer.
À sa façon, il donne à Jésus une contemporanéité tout à fait intéressante.