Oraison funèbre
Il y a, dans la famille du narrateur, comme un silence, une absence, des photos rangées dans une boite à chaussure "qu'on ne laisse jamais ouverte" très longtemps. Lorsqu'il demande à son père quel est le plus lointain voyage que celui-ci ait fait, la réponse l'étonne, Amsterdam. Pourquoi Amsterdam ? "Pour aller chercher ce gros con de Désiré". Réponse lapidaire, taiseuse qui cache des monceaux de chagrin et de secrets.
Dans cette famille installée dans l'arrière-pays niçois, on est boucher de père en fils, commerçants prospères et respectés, durs à la tâche et travailleurs, on tient son rang. Désiré (ce nom !) est l'ainé, le préféré, celui qui a fait ses études à Nice. Il travaille chez le notaire du bourg. Prestige et fierté. Alors quand il revient les yeux trop cernés de ses week-ends de bringue à Nice, on ferme les yeux. Et quand il commence à manquer de l'argent dans la caisse, on botte en touche. Désiré, l'air de rien, sans d'abord se départir de son aura de fils chéri, s'enfonce doucement dans l'héroïne, de plus en plus maigre, et de plus en plus livide. Le fils prodigue se marie, a un enfant. Le couple s'enfonce dans la dope, et lorsque ces deux-là commencent à tomber malades sans que l'on sache trop d'ou viennent ces pneumonies et ces taches sur la peau, notre coeur de lecteur se serre. On est dans les années 80, et nous savons que le SIDA se développe à vitesse fulgurante, nous savons que l'ignorance et la peur ont condamné des malades à mourir seuls, comme des pestiférés. Les parents de Désiré, malgré un déni obstiné (notre fils ne peut pas avoir attrapé cette maladie) l' accompagneront jusqu'au bout, sans jamais lui lâcher la main, partageant avec le corps médical la détresse liée à l'impuissance; Et pourtant, simultanément et dans tout le roman, en chapitre alternant, se déroule l'incroyable fil de l'identification du virus par les épidémiologistes, et la course effrénée avec les équipes américaines pour être les premiers à trouver un vaccin. Des premières apparitions d'une maladie nouvelle et dévastatrice jusqu'à la mise au point des trithérapies, Anthony Passeron déroule le fil d'une épopée scientifique.
Avec ce premier roman, Anthony Passeron en entre-mêlant une chronique familiale tragique et bouleversante avec un quasi thriller scientifique réalise une entrée assez fracassante dans notre paysage littéraire.
"Nous avions oublié que vivre était dangereux"
"Et si....." peut-être le début de la fiction, un détournement de la réalité, une hypothèse enchantée, la trace d'un regret.
Pour Brigitte Giraud, il s'agit de faire le tour ultime de ces "si", avant de signer la vente de cette maison, achetée vingt ans plus tôt avec son mari Claude.
Il n'a jamais habité cette maison. Le lendemain de la signature, sur un coup de tête, il empruntait une moto qui n'aurait pas dû être là à ce moment là et se tuait avec trois kilomètres plus loin.
Brigitte Giraud, avec une obsession du détail sidérante, retrace avec précison cet enchainement de faits plus ou moins signifiants ou insignifiants qui amène à l'inéluctable accident, et ce faisant, construit à leur couple un magnifique tombeau littéraire.
"Et si je n'avais pas voulu vendre l'appartement, Si je ne m'étais pas entêtée à visiter cette maison, si mon grand-père ne s'était pas suicidé au moment où nous avions besoin d'argent, si nous l'avions pas eu les clés de la maison à l'avance, si...."
Brigitte Giraud nous livre un récit de deuil d'une telle intensité dans ce récit de deuil, qu'il en devient d'une folle énergie vitale, et c'est d'une grande beauté.
Que passent les étés, et que reste la mémoire.
Mélancolique comme une fin d'Eté, "Que reviennent deux qui sont loin" est un beau roman de Pierre Adrian, évocation de vacances passées dans une vieille maison de famille bretonne. Le narrateur, trentenaire célibataire, revient dans cette maison qu'il a déserté pendant plusieurs étés, avec le vague sentiment d'avoir un peu vieilli, l'envie de retrouver sa tribu, et peut-être aussi parce que cette grande maison sera vendue à la mort d'une grand-mère très agée.
Le temps passe à rejoindre les cousins à la plage, les vieux copains au Café du Port, passer voir une vieille tante, faire une après-midi de voile, se retrouver enfant dans ce petit neveu de six ans, un peu plus réservé et grave que les autres, un peu ailleurs, être proche des siens, tout en s'en sentant un peu étranger.
"Les jours se succédaient sans événement, tous semblables au jour précédent. Il ne se passait rien. La matinée s’allongeait jusqu’au déjeuner de treize heures. L’après-midi se confondait en sieste et en lectures. La fin de la journée se déroulait sur le sable où les jeunes parents occupaient depuis longtemps leurs enfants."
L'été passe avec langueur, certains repartent déjà après l'effervescence du 15 Août, alors que la lumière d'été peut s'obscurcir, rassemblant vivants et morts dans une même mémoire, celle d'une famille et de sa maison de vacances.
Un très beau livre sur la douleur et la richesse d'être différent
A la maternelle, Charly s'éclate avec les tricycles alors quand il passe à la "grande école", il ne comprend pas trop pourquoi l'autre là, il veut jamais le prêter, son fauteuil à roulettes. Charly ne trouve pas ça juste, parce que Charly a sa propre façon de voir le monde. Il fonce sur le garçon, le fait tomber de son fauteuil à roulettes, et bim, il part faire le zouave avec. Tout va devenir très très compliqué par Charly à cause de "l'handicapé". Il comprend bien qu'il a fait une grosse bêtise, mais il ne comprend pas pourquoi d'un seul coup, il devient le paria de l'école. Un grand arbre noir va lui pousser dans le ventre, un grand arbre d'angoisse et de frayeur.
Lumineux texte sur la différence, le rejet, la solitude à l'école et puis la lumière, des adultes attentifs, et l'amitié, comme un grand pansement. Une grande réussite pour lecteurs à partir de 8-9 ans.
Etre gourmand en temps de guerre ?
Au mode Downton Abbey, voilà une englicherie comme on les adore.
Alors que les restrictions vident les magasins anglais dès 1940, bien nourrir la famille anglaise devient une arme de guerre, une composante essentielle de cette attitude so british, entre le "never explain, never complain" et "We shall fight on the beaches, we shall fight on the landing grounds, we shall fight in the fields and in the streets, we shall fight in the hills; we shall never surrender" (Churchill-8 juin 1940).
Nous sommes en juin, dans le sud de l'Angleterre, et la BBC a décidé de lancer un concours auprès des ménagères anglaises, invitées à développer des prouesses d'imagination pour cuisiner 300gr de rien avec 600 gr d'un peu de quelque chose pout faire quelque chose de bon qui préservera la santé des petits anglais et le moral de l'arrière.
4 femmes dont les destins difficiles se croisent vont batailler pour gagner ce concours dont la victoire assurerait à chacune quelque chose de l'ordre de la survie. Alors qu'on les imagine un instant se battre à coups de "Gâteau de gala de Mrs Quince adapté au temps de guerre" et "Friands à la sardine de Lady Gwendoline" nos quatre héroînes qui subissent déjà dans leur vie la brutalité de la guerre, vont en fait développer des trésors de solidarité féminine et de grande capacités de résilience.
"Les recette des Dames de Fenley" est une jolie dégustation printanière, enlevée, prenante, et finalement assez émouvante.