Humanités boréales
En ces temps troublés et loin des fracas du monde, suivre Jon Kalman Stefanson dans sa chronique d’un village islandais perdu au milieu de nulle part, entre ciel, terre et mer est une expérience à la fois apaisante, loufoque, méditative et exotique.
« Avez-vous jamais réfléchi au nombre de choses qui tiennent au hasard, toute la vie peut-être ? C’est une pensée rudement déplaisante, le hasard est souvent aveugle, ce qui réduit notre existence à un ensemble de tâtonnements, cette vie qui semble aller dans toutes les directions et s’achève le plus souvent au beau milieu d’une phrase – peut-être est-ce justement pour cette raison que nous allons vous raconter les histoires de notre village et des campagnes environnantes (…) Nous commencerons ici, au village, et nous achèverons notre périple sur un pas-de-porte dans les campagnes du Nord, voilà nous commençons, qu’arrivent maintenant gaieté et solitude, retenu et déraison, que viennent la vie et les rêves – ah oui, les rêves. »
Vivre dans un fjord de l’ouest de l’Islande vous oblige probablement à ne pas vous compliquer la vie. Dans ces paysages d’immensités et d’infini, il vaut mieux rire que pleurer des petites misères du quotidien et des grands troubles de l’âme, boire beaucoup de café et s’étourdir de poésie.
Jon Kalman Stefanson, tel un esprit farceur et mélancolique, entre dans les maisons, traverse les champs et nous raconte comment l’Astronome, directeur de l’atelier de tricot, décide de dilapider tout son argent dans d’obscurs et précieux livres latins, comment Kristin, éperdue de jogging affole les sens électrisés du sobre fermier Kjartan, comment le doux Jonas, policier de son état, passe ses nuits à rédiger l’ultime livre sur les oiseaux des tourbières, et comment Aki se desespère de ne pouvoir compter les poisons dans la mer.
Les habitants de ce village nous sont à la fois étrangers et tellement proches, comme un autre nous-mêmes, rendu à la transparente lumière et aux aubes brumeuses des paysages islandais.
Sixtine et ses chapelles
Peut-être avez-vous suivi le merveilleux envol d'Esther Schapiro dans la série Unorthodox, diffusée sur Netflix; peut-être avez-vous partagé l'enfermement mental d'Isra, jeune fille venue de Palestine, mariée à un homme qu'elle connait à peine et assignée à résidence en plein Brooklyn, dans "Le silence d'Isra", paru à l'Observatoire ce printemps 2020. Sixtine, elle, nous permettra de voir combien les catholiques intégristes n'ont rien à envier aux juifs orthodoxes new-yorkais et aux musulmans traditionnalistes lorsqu'il s'agit d'assigner une place et un rôle à la femme. Comme Esther et Isra, sœurs du Livre, Sixtine devra lutter silencieusement et, de fait, puiser en elle même des ressources dont elle ne pouvait pas imaginer disposer pour conquérir sa liberté. Maylis Adhémar accompagne avec intensité son héroïne dans sa lente prise de conscience de son emprisonnement mental, et l'on sent quelque chose de très personnel dans cet accompagnement. L'intérêt de ces trois œuvres réside aussi dans leur refus de la caricature. Jamais en rupture de ban, ces trois héroïnes ne sont pas en guerre contre leur dieu, mais bien au contraire, donnent le sentiment d'enrichir leur foi en se battant pour leur liberté.
La tristesse profonde de Damaris, née de son désir d'enfant non assouvi, nous est dite à travers une écriture toute en tension, et on est heureux d'y retrouver ce fameux "réalisme magique" qui fit la gloire des écritures sud-américaines. On se retrouve rarement projeté avec une telle force dans un lieu et une ambiance, coincé ici entre la côte pacifique et la jungle, entre la truffe affectueuse d'une petite chienne aimée, et les menaces sourdes qui semblent suinter de la jungle, entre la banalité d'un quotidien désespérant et d'infinis regrets enfantins. Pilar Quintana excelle dans cette histoire infiniment troublante, toute d'amour et de violence.
L'adolescente, chez Lola Lafon, est souvent dans l'effort physique. Qu'elle soit gymnaste ("La petite communiste qui ne souriait jamais") ou danseuse comme la Cléo, de "Chavirer", il est question du corps que l'on contraint, force, entraine, travaille, transforme avec souffrance et plaisir mélangés afin de l'emmener vers les sommets. Il est aussi question, dans ce livre qui est un des meilleurs de Lola Lafon, de jeunes filles de 13 ans entrainées vers des réseaux pédophiles, il est question de culpabilité et de pardon , il est aussi question de vies abimées et reconstruites. Cleo sera danseuse de cabaret, de plateau télé et Lola Lafon livre une analyse très fine d'une culture dite "populaire" et du mépris dont elle peut faire l'objet. Dans ce subtil roman à la construction globalement très maitrisée, les pages qui se passent dans un équivalent du "Moulin Rouge" sont d'une exceptionnelle beauté et démontrent combien les talents d'écriture de Lola Lafon sont aboutis.
Corps en tensions
L'adolescente, chez Lola Lafon, est souvent dans l'effort physique. Qu'elle soit gymnaste ("La petite communiste qui ne souriait jamais") ou danseuse comme la Cléo, de "Chavirer", il est question du corps que l'on contraint, force, entraine, travaille, transforme avec souffrance et plaisir mélangés afin de l'emmener vers les sommets. Il est aussi question, dans ce livre qui est un des meilleurs de Lola Lafon, de jeunes filles de 13 ans entrainées vers des réseaux pédophiles, il est question de culpabilité et de pardon , il est aussi question de vies abimées et reconstruites. Cleo sera danseuse de cabaret, de plateau télé et Lola Lafon livre une analyse très fine d'une culture dite "populaire" et du mépris dont elle peut faire l'objet. Dans ce subtil roman à la construction globalement très maitrisée, les pages qui se passent dans un équivalent du "Moulin Rouge" sont d'une exceptionnelle beauté et démontrent combien les talents d'écriture de Lola Lafon sont aboutis.