L'humoriste
EAN13
9782714310354
ISBN
978-2-7143-1035-4
Éditeur
José Corti
Date de publication
Collection
domaine français
Nombre de pages
224
Dimensions
13,6 x 1,8 cm
Poids
235 g
Fiches UNIMARC
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Offres

Un humoriste gai comme une porte de prison.

Un original qui cultive sa laideur, ce qui ne l’empêche pas de plaire aux femmes.

Un collectionneur de miroirs obsessionnel et mégalomane.

Une amoureuse qui confond ses amants entre eux.

Une mythomane géniale.

Un clown métaphysique.

Trois jeunes femmes délurées qui sèment la terreur dans un village.

Un roi, intoxiqué par les sermons de Bossuet, qui s’enfuit de son palais pour devenir mendiant…



Telles sont quelques-unes des figures que l’on croisera dans ces pages où l’ironie côtoie la poésie, et le tragique l’humour débridé.



Soit, au total, soixante dix-huit histoires et portraits, subtils et percutants, ciselés à la pointe fine par l’auteur de De la Connerie et du Petit traité à l’usage de ceux qui veulent toujours avoir raison.
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Extrait de l'Humoriste

Son best-seller Comment draguer les femmes de ses amis sans se fâcher avec eux lui avait établi une réputation d’humoriste dont il ne parvenait plus à se débarrasser. Dès qu’il entrait dans un salon, les yeux se fendaient, les bouches se mettaient en croissant de lune et tout le monde croyait de son devoir de lui taper sur l’épaule en s’écriant : « Sacré Peter, vous nous avez bien fait rire ! À quand le prochain ? »

Peter Lolly n’en pouvait plus. C’était à regretter d’avoir écrit ce livre, malgré les droits d’auteur qui n’en finissaient pas de tomber (déjà vingt-trois traductions). Il se souvenait des circonstances qui l’avaient décidé à s’essayer dans une veine comique. Ses trois ouvrages précédents n’avaient eu aucun succès : un roman au dénouement tragique, un autre plus léger, d’une couleur finement nostalgique, dans lequel il avait pourtant mis le meilleur de lui-même, et un essai sur la poétique de la nature. Pas une ligne dans la presse. Alors, il s’était dit : 9 « Essaie une pochade, on verra bien. » Il s’était pris au jeu et beaucoup amusé à écrire ce livre sans conséquence littéraire, publié sous le pseudonyme de Peter Lolly. Aujourd’hui, il ne voulait pas le renier, seulement prendre ses distances, car son vrai talent, croyait-il, n’était pas de faire rire, mais d’émouvoir et de faire réfléchir.

Ainsi se voyait-il, au rebours de ses lecteurs. Ces derniers n’en démordaient pas : un humoriste, et rien d’autre. Ce qualificatif qu’on lui renvoyait sans cesse lui pesait comme une armure. Dans les premiers temps après la parution de l’ouvrage, il n’avait pas mal pris la chose, il avait assumé sa nouvelle identité littéraire avec un brin d’ironie fataliste. Mais de se voir continuellement invité dans les médias et les salons pour ce seul statut d’humoriste l’agaçait de plus en plus. Il lui semblait qu’on voulait réduire sa personnalité à une dimension marginale, en ne conservant que sa partie la plus allègre. Il ne récusait pas son don d’amuseur ; il aurait espéré qu’on ne l’y ramenât pas toujours.

Les sourires qui s’ouvraient comme des corolles empoisonnées sur son passage le rendaient malade. Il commença une dépression. Le regard sinistre, le teint gris, la lippe dégoûtée, les deux mains ouvertes devant lui pour freiner les effusions, il s’avançait entre deux rangées d’admirateurs avec l’apparence d’un fantôme. Ses manières faisaient rire, on les croyait étudiées. Les 10 lieux communs tombaient : « Les humoristes sont des gens tristes dans la vie », « L’humour est la politesse du désespoir », et autres fadaises qu’il ne pouvait plus entendre sans avoir envie de tuer. Un jour, il renversa une table dans un restaurant où un jury littéraire fêtait l’attribution du Grand Prix de l’humour dont il était lauréat. Il insulta les personnalités présentes, cracha sur le président, et sortit en cassant une rangée de verres. Après une seconde de stupeur, l’assistance éclata de rire et se mit à applaudir. Alors, il essaya une carte qu’il croyait maîtresse : il publia un Traité du suicide sous son pseudonyme de Peter Lolly. Cette fois, on ne pourrait plus s’y tromper, on verrait quel métaphysicien profond il était. Le seul article qui en rendit compte commença à avertir les lecteurs de ne pas confondre ce Peter Lolly avec l’humoriste bien connu. Et poursuivit en reconnaissant des mérites à ce traité original qu’il valait mieux, cependant, ne pas mettre entre toutes les mains, contrairement au livre si tordant de son homonyme.

Humoriste à vie : c’était donc le sort qui lui était réservé. Le dégoût qu’il en eut lui fit abandonner définitivement la littérature. Il se lança dans les affaires où il acquit la réputation d’un spéculateur intraitable et cynique, gai comme une porte de prison.

Son best-seller Comment draguer les femmes de ses amis sans se fâcher avec eux lui avait établi une réputation d’humoriste dont il ne parvenait plus à se débarrasser. Dès qu’il entrait dans un salon, les yeux se fendaient, les bouches se mettaient en croissant de lune et tout le monde croyait de son devoir de lui taper sur l’épaule en s’écriant : « Sacré Peter, vous nous avez bien fait rire ! À quand le prochain ? »

Peter Lolly n’en pouvait plus. C’était à regretter d’avoir écrit ce livre, malgré les droits d’auteur qui n’en finissaient pas de tomber (déjà vingt-trois traductions). Il se souvenait des circonstances qui l’avaient décidé à s’essayer dans une veine comique. Ses trois ouvrages précédents n’avaient eu aucun succès : un roman au dénouement tragique, un autre plus léger, d’une couleur finement nostalgique, dans lequel il avait pourtant mis le meilleur de lui-même, et un essai sur la poétique de la nature. Pas une ligne dans la presse. Alors, il s’était dit : 9 « Essaie une pochade, on verra bien. » Il s’était pris au jeu et beaucoup amusé à écrire ce livre sans conséquence littéraire, publié sous le pseudonyme de Peter Lolly. Aujourd’hui, il ne voulait pas le renier, seulement prendre ses distances, car son vrai talent, croyait-il, n’était pas de faire rire, mais d’émouvoir et de faire réfléchir.

Ainsi se voyait-il, au rebours de ses lecteurs. Ces derniers n’en démordaient pas : un humoriste, et rien d’autre. Ce qualificatif qu’on lui renvoyait sans cesse lui pesait comme une armure. Dans les premiers temps après la parution de l’ouvrage, il n’avait pas mal pris la chose, il avait assumé sa nouvelle identité littéraire avec un brin d’ironie fataliste. Mais de se voir continuellement invité dans les médias et les salons pour ce seul statut d’humoriste l’agaçait de plus en plus. Il lui semblait qu’on voulait réduire sa personnalité à une dimension marginale, en ne conservant que sa partie la plus allègre. Il ne récusait pas son don d’amuseur ; il aurait espéré qu’on ne l’y ramenât pas toujours.

Les sourires qui s’ouvraient comme des corolles empoisonnées sur son passage le rendaient malade. Il commença une dépression. Le regard sinistre, le teint gris, la lippe dégoûtée, les deux mains ouvertes devant lui pour freiner les effusions, il s’avançait entre deux rangées d’admirateurs avec l’apparence d’un fantôme. Ses manières faisaient rire, on les croyait étudiées. Les 10 lieux communs tombaient : « Les humoristes sont des gens tristes dans la vie », « L’humour est la politesse du désespoir », et autres fadaises qu’il ne pouvait plus entendre sans avoir envie de tuer. Un jour, il renversa une table dans un restaurant où un jury littéraire fêtait l’attribution du Grand Prix de l’humour dont il était lauréat. Il insulta les personnalités présentes, cracha sur le président, et sortit en cassant une rangée de verres. Après une seconde de stupeur, l’assistance éclata de rire et se mit à applaudir. Alors, il essaya une carte qu’il croyait maîtresse : il publia un Traité du suicide sous son pseudonyme de Peter Lolly. Cette fois, on ne pourrait plus s’y tromper, on verrait quel métaphysicien profond il était. Le seul article qui en rendit compte commença à avertir les lecteurs de ne pas confondre ce Peter Lolly avec l’humoriste bien connu. Et poursuivit en reconnaissant des mérites à ce traité original qu’il valait mieux, cependant, ne pas mettre entre toutes les mains, contrairement au livre si tordant de son homonyme.

Humoriste à vie : c’était donc le sort qui lui était réservé. Le dégoût qu’il en eut lui fit abandonner définitivement la littérature. Il se lança dans les affaires où il acquit la réputation d’un spéculateur intraitable et cynique, gai comme une porte de prison.

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