La tentation du silence : Essai sur l'?uvre poétique d'yves bonnefoy suivi d'entretiens avec l'auteur, une âme pour la liberté
EAN13
9782013213462
ISBN
978-2-01-321346-2
Éditeur
Le Livre de poche jeunesse
Date de publication
Collection
Livre de Poche Jeunesse (656)
Dimensions
17 x 11 x 1,7 cm
Poids
206 g
Langue
français
Fiches UNIMARC
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La tentation du silence : Essai sur l'?uvre poétique d'yves bonnefoy suivi d'entretiens avec l'auteur

une âme pour la liberté

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1?>« Je dois me séparer de vous »?>« Dix minutes ! Dix minutes de retard ! Je n'aime pas être en retard. J'aurais dû être là-bas à 5 heures précises. »Le mahâtma Gandhi est mécontent. Ils sont quelque cinq cents dans le champ de prières. Fait-on attendre toute une foule ? D'ailleurs, fait-on attendre une seule personne ?Tout à l'heure, un peu avant 16 h 30, il a pris le repas que lui a apporté Abha : légumes crus et cuits, lait de chèvre, oranges, et une compote de gingembre, de citrons et de beurre battu, avec du jus d'aloès. Pendant qu'il mangeait, il s'est entretenu avec Vallabhbhaï Patel. Patel a parlé, parlé, et Abha a hésité à l'interrompre : coupe-t-on la parole au Premier ministre adjoint du gouvernement indien ?Abha est une cousine par alliance du Mahâtma. Elle est l'un des deux « bâtons de vieillesse " de Gandhi, le second étant Manou, petite-fille d'un autre cousin.On n'arrête pas le temps, pas plus qu'on ne le tue. À un moment, silencieuse, Abha s'est penchée pour que Gandhi, assis sur le sol de sa chambre, puisse lire l'heure sur la montre de nickel qu'elle lui tendait. Le Mahâtma a froncé les sourcils, il s'est levé en disant à Patel :« Je dois me séparer de vous. »Après un rapide passage par la salle de bains, Gandhi est sorti de Birla House — sa maison, à New Delhi — pour rejoindre cette foule d'un demi-millier de personnes qui l'attendait...Gandhi s'appuie sur les épaules d'Abha et de Manou. Le pas est vif et les quelques marches menant au parc sont gravies sans peine.Dans un instant, le Mahâtma aura rejoint l'estrade de bois sur laquelle il prendra place pour les offices. On se lève, on vient vers lui, on se prosterne aux pieds de l'homme aux sandales de cuir, enveloppé dans un châle de laine d'un blanc immaculé.Gandhi joint les mains pour le salut, oui, rapproche ses paumes en souriant afin de bénir cette foule au premier rang de laquelle se trouve son assassin.Car Nathouram Godsé joue des coudes, s'approche de Gandhi, sort de sa poche un revolver automatique. Effrayée, Manou veut intervenir, mais l'homme au blouson kaki l'écarte brutalement.Trois balles, trois, pour que le temps s'arrête de lui-même. Trois balles, trois, pour tuer un homme.Au premier coup de feu, le Mahâtma est resté debout. Au deuxième, le sang a giclé, tachant le châle blanc.« Hey ! Râma ! » (« Ah ! mon Dieu ! »)À la troisième balle, Gandhi glisse, tombe sur la terre de ce champ de si nombreuses fois foulé par tant de femmes et d'hommes.Le temps s'écoule à nouveau. Abha et Manou se sont accroupies auprès du corps si frêle ; maintenant, tout s'accélère : des mains anonymes emportent le Mahâtma vers sa chambre, Patel prend le pouls de Gandhi, on ouvre une boîte de médicaments, un docteur accourt.Efforts dérisoires. Peine perdue.Une balle a touché le cœur, une autre a atteint une artère, la dernière s'est logée dans les intestins.Vibrants hommages et messages de circonstance.Pleurs sincères.Et larmes de crocodile.Gandhi est mort.Harilâl, l'un de ses fils, pourra dire : « Le visage de mon père était si serein et le halo de lumière divine qui entourait son corps si doux qu'il eût semblé presque sacrilège de nous affliger... »Et Léon Blum, encore chef du gouvernement français un an plus tôt, parlera de « la mort d'un homme extraordinaire ». N'empêche, les ténèbres triomphent quand tombe ainsi un juste.?>2?>Manger de la viande pour chasser l'Anglais?>Dès qu'il se dresse sur ses jambes pour accomplir ses premiers pas, l'enfant marche vers l'homme qu'il sera. Mais quel homme deviendra-t-il ? Tout reste alors à dire et à écrire, nul destin n'étant lisible, que ce soit dans les cartes, une boule de cristal ou le marc de café. Demain n'est jamais qu'un point d'interrogation, un ensemble d'espérances et de suppositions, un faisceau de probabilités.Que sait Gandhi lorsqu'il se lève quand Abha interrompt la conversation engagée avec Vallabhbhaï Patel ? Qu'il est en retard et qu'on l'attend sur le champ de prières. Point. Car, serrant un revolver automatique dans une poche, et vêtu d'un blouson kaki, Nathouram Godsé n'est pas encore le meurtrier du Mahâtma, et le cœur de Gandhi, en ce 30 janvier 1948, aux environs de 17 heures, a déjà produit quelque soixante et onze mille battements depuis minuit.Oui, que sait Gandhi, en ce moment de cet après-midi ? Qu'a-t-il à l'esprit ? Tout un passé, le sien, qui commence à la première seconde de l'aube de sa mémoire. Et s'il sait, comme tout un chacun, qu'il se trouve entre la naissance et la mort, il ignore tout de l'imminence de cette dernière, même si, à cause de son âge et des menaces pesant sur lui, il peut penser qu'elle est proche...Mohandas Karamchand Gandhi naît en 1869, le samedi 2 octobre, dans le Goujrât, à Porbandar, ville qui a donné son nom à un minuscule État de l'Inde occidentale, de cette Inde que les Anglais contrôlent tout entière. Sept ans plus tard, le Premier ministre, Benjamin Disraeli, fera proclamer la reine Victoria « impératrice des Indes1 ».Faite d'une mosaïque de peuples, l'Inde est aussi divisée en castes2.La famille de Mohandas appartient aux vaisyas (gandhi signifie « épicier »), plus précisément aux baniyas (« marchands »), mais ne tient plus boutique et le grand-père a rempli la fonction de Premier ministre du Porbandar, charge transmise à Karamchand, le père de Mohandas.Karamchand n'a pas eu d'autre éducation que l'expérience ; c'est un incorruptible qui s'est acquis une renommée de juste, tant à la maison qu'au-dehors. L'homme est sincère, intrépide et généreux, passionné et irascible. Ses trois premières femmes sont mortes et Poutlîbâï, la dernière, lui a donné quatre enfants ; Mohandas est le dernier de ce quatrième mariage.On n'est pas pauvre, chez les Gandhi. Dans la bibliothèque, on trouve des livres qui parlent de religion et de mythologie ; quand Mohandas désire faire de la musique, on lui offre un accordéon.Cet enfant sensible éprouve une viveaffection envers Rambhâ, la bonne spécialement engagée pour lui, et aime d'une tendresse infinie Poutlîbâï qui lui donna le jour. Si son père peut parfois lui inspirer de la peur, sa mère lui apparaît irréprochable : elle est comme un modèle aux yeux de Mohandas, une sainteté qui se rend au temple, chacun des jours que Dieu fait, afin d'assister aux offices, et pour qui tout repas pris sans prier serait sacrilège. Oui, un modèle : Poutlîbâï est capable de s'imposer de longs jeûnes, et, lors des chatourmas, ces carêmes indiens qui se déroulent pendant la saison des pluies, elle peut se contenter d'un repas unique, à l'aube ; toute une année, elle pratiquera même le jeûne un jour sur deux. Le jeûne... Quand viendra l'heure des combats sans violence, ce sera pour Gandhi, ses compagnons, ses adeptes, une arme redoutable que cette faim librement consentie, cette faim qu'on s'inflige à soi-même.Passe l'eau sous les ponts du Gange. Mohandas fait des études médiocres, et l'enfant, qui craint en permanence que l'on se moque de lui à l'école, n'a pour seuls « amis que ses livres, ses devoirs et ses leçons ». Plus tard, les mots seront ses compagnons de prison, mais cela, comment cet adolescent qu'est maintenant Mohandas pourrait-il le savoir et même l'imaginer ? Car l'on ne devient pas en une seconde celui que l'on sera, et tant le corps que l'esprit se construisent au fur et à mesure d'une vie qui va au hasard d'un long fleuve tranquille, ou bien au gré de flots tumultueux.Pour l'heure, Gandhi n'est encore que Mohandas ; il se trouve face à des chemins qui bifurquent : sa religion lui interdit de consommer de la viande, et voici qu'un de ses amis musulmans, cheikh Mehtab, affirme que c'est en en mangeant que l'on pourra chasser le Britannique hors de l'Inde et libérer le pays. D'ailleurs, on récite au collège :Admirez le puissant AnglaisIl gouverne l'Indien minusculeCar mangeant de la viandeIl mesure plus de cinq coudées.Et Mohandas d'en consommer en cachette pendant des mois, malgré le poids du remords ajouté à celui du mensonge.Le mensonge ? L'adolescent déteste l'éclat, le luxe des temples, et ne possède pas une foi absolue en Dieu. Malgré ce que disent les livres et tant de saintes écritures, qui gouverne l'univers, qui a fait les marées, les m...
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