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7 avril 2010

Roman de Valeria Parrella.

Maria a accouché d'une petite fille. Grande prématurée, Irène entre le monde par le biais des couveuses et des tuyaux. Maria, suspendue aux lignes des moniteurs médicaux, devenue experte dans la lecture des chiffres clignotants, navigue entre les autres mamans qui hantent le service des prématurés, entre les infirmières, entre les médecins. Ailleurs, il y a le centre de formation pour adultes, où elle est professeur de grammaire et de littérature, avec passion et acharnement, dévouée à ses élèves issus des es populaires de Naples. Mère en sursis, femme chancelante, elle attend pendant deux mois l'issue d'une grossesse achevée trop tôt.

Le sujet est bouleversant, comme tous ceux qui traitent d'enfant en détresse et de mater dolorosa. Mais il y manque de la délicatesse, un petit quelque chose qui m'aurait rendu cette femme attachante.

Le temps est entre parenthèses, même dans la narration. Les paragraphes s'enchaînent au gré d'analepses maladroites et de retours au présent trop violents.

Les quelques déambulations dans Naples, et toutes les évocations propres à cette ville, sont intéressantes sans être pertinentes.

Le roman se déroule, selon moi, trop mollement, sans sentiment, sans passion. Dommage, car ce livre aurait pu être un bon souvenir.

Un grand merci au site et aux éditions du qui m'ont offert ce livre.

Albin Michel

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28 mars 2010

Un monde de soie

Roman d'Alessandro Baricco.

"On était en 1861. Flaubert écrivait Salammbô, l'éclairage électrique n'était encore qu'une hypothèse et Abraham Lincoln, de l'autre côté, de l'Océan, livrait une guerre dont il ne verrait pas la fin." (p. 7) Hervé Joncour, à Lavilledieu, travaille pour les sériciculteurs de la ville. La pébrine a ravagé les élevages de vers à soie de la région. Hervé Joncour embarque pour le Japon, "une île faite d'îles" (p. 19), pour acquérir à prix d'or des oeufs sains. Dans ce pays à la frontière du monde connu, Hervé rencontre Hara Kei, le chef respecté d'une communauté perdue. Aux côtés d'Hara Kei se tient une jeune femme mystérieuse et silencieuse qui prend possession de l'âme d'Hervé Joncour. Mais Hara Kei, "l'homme le plus imprenable du Japon, maître de tout ce que le monde réussissait à faire sortir de l'île" (p. 28), veille avec une férocité inébranlable sur ses possessions. Hervé Joncour, entre deux voyages vers les îles nippones, ne trouve plus auprès de sa douce épouse Hélène la quiétude des charmes tendres du mariage.

Loin d'être un traité sur la sériciculture, ce roman aux chapitres fugaces a des accents de conte philosophique. Hervé Joncour assiste aux évènements de sa vie sans y prendre part. Perdu dans l'inutile contemplation des fluctuations de son âme, il laisse s'échapper ses chances de maîtriser sa vie. Hervé Joncour est un romantique qui s'ignore.

Les chapitres qui tiennent en une page, parfois deux, se suivent au gré des hiatus qui amputent élégamment le texte des détails superflus. Le tout a la régularité lancinante de la mélodie saccadée des roues d'un train sur les rails. Les allers et retours d'Hervé sont répétés au mot près, parce qu'il n'y a qu'une route pour aller au Japon avant la création du Canal de Suez.

Les figures de femmes sont délicates, à peine esquissées. Hélène parle peu, ne se plaint guère mais l'auteur a su exprimer sa peine. L'inconnue du Japon parle encore moins, elle écrit, mais dans cette langue d'idéogrammes imperméable aux Européens. Ces deux femmes sont davantage des jeunes filles, en-deça de leur féminité. Madame Blanche, maquerelle de Nice aux origines nippones, est la seule à être pleinement femme. Interprète et traductrice des écrits de la jeune inconnue, elle prend aussi la parole au nom d'Hélène.

Le texte est beau, très poétique, exquisément raffiné. Je le recommande sans aucun doute aux amateurs de fresques délicates. En une centaine de pages, on voit la vie d'un village de France, l'ouverture du Japon au commerce international après des siècles d'autarcie farouche et l'existence d'un homme.

Il me faut trouver le film éponyme, réalisé par François Girard en 2007. Je suis curieuse de voir comment est incarné le personnage d'Hervé Joncour, même si la présence de l'actrice Keira Knightley me hérisse déjà.

roman

Philippe Picquier

6,60
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24 mars 2010

Un pas de deux grostesque et laid

Roman d'Anyi Wang.

Danseurs au sein de la même troupe, dans une petite ville de Chine, un jeune homme et une jeune fille ne peuvent résister à l'attraction qui s'exerce entre eux. De leur toute jeune adolescence à leurs années adultes, ils se cherchent, s'attrapent, se repoussent, se détestent et se retrouvent.

Pas de prénom à poser sur ces deux personnages. La fille est épaisse et puissante comme un homme. Le garçon est petit comme un enfant, marqué de cicatrices. L'histoire se déroule dans une narration distanciée. On a l'impression de lire un rapport officiel, un document historique. Pas de dialogue, ou si peu, une dizaine de paroles. Les mots entre eux sont impuissants. Incapables de dire ce qui les anime, ils laissent leurs corps exprimer la nature de leurs émotions. Confusément conscients de commettre une faute aux yeux du régime et de la morale, sans volonté face aux tiraillement de la chair, ils se laissent submerger par le désir tout en se livrant aux horreurs du remords et de la honte. "Ils ignorent ce qu'on appelle l'amour, ils savent simplement qu'ils ont un besoin irrépressible l'un de l'autre." (p.70)

L'amour entre la fille et le garçon est mêlé de violence. Entre attirance et répulsion, ils dansent une parade de séduction aux accents animaux, un pas de deux grotesque et laid. L'amour entre eux, ce sont des frottements, des échanges de coups, des odeurs fortes et piquantes de sueur, des combats, de la crasse et de la douleur. Contrairement à ce que présente la quatrième de couverture, je n'ai vu aucune sensualité dans la rencontre de leurs deux corps et dans la progression de leur relation.

Ils s'épuisent dans des entraînements et des exercices qui ne les rendent pas meilleurs danseurs. Entravés par les défauts et les difformités de leurs corps, étranglés par leurs pulsions sexuelles, ils sont les relégués de la troupe de danse et essuient les moqueries et le mépris de leurs camarades.

L'histoire se passe en Chine, dans les années 1970, témoins de la Révolution culturelle. La troupe ne produit que des oeuvres du répertoire officiel à la gloire du régime: Le détachement féminin rouge ou La fille aux cheveux blancs.

Voici un texte court que j'ai lu très vite, mais qui ne m'a pas émue. L'histoire d'amour et de désir ainsi traitée, avec tant de distance et d'indifférence, me semble gâchée. On lit les affolements qui animent le couple, on lit la haine et l'attirance, mais on ne la ressent pas. Tout se déroule derrière un voile, comme un jeu d'ombres chinoises. On comprend l'essentiel, mais le détail manque. Les figures s'animent mais elles ne sont pas incarnées.

L'intérêt principal du texte réside dans la peinture d'un microcosme de la société chinoise sous Mao, dans la description de l'environnement précaire d'une troupe de danse à la solde d'un régime.

Je ne déconseille pas ce livre, mais je préviens que ceux qui s'attendent à trouver de l'émotion qu'ils seront déçus.

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23 mars 2010

Romantisme échevelé et mélancolie languissante

Roman d'Alexandre Vialatte. Lettre V de mon Challenge ABC 2010.

Quatrième de couverture: Les fruits du Congo, c'est une affiche. Elle représente une magnifique négresse qui porte des citrons d'or. Les collégiens d'une ville d'Auvergne rêvent devant cette affiche qui symbolise pour eux l'aventure et l'extrême poésie de l'existence. Qu'est-ce que l'adolescence? Telle est la question à laquelle Alexandre Vialatte répond avec ce grand roman. En fait, il n'y répond pas: il nous montre l'adolescence, avec ses extravagances, ses aspirations sublimes, ses amours mélancoliques. Il nous montre aussi toute une ville de province avec ses kermesses, son assassin, son docteur, son lycée, son square.

Je me refuse d'ordinaire à livrer la quatrième de couverture d'un roman. Je me targue de toujours donner un résumé de mon cru. Pour prétendre faire de même avec le texte de Vialatte, il aurait fallu que je dépasse les cent premières pages. J'ai échoué page 84, à bout de souffle et de patience pour cette langue poussive et empoussiérée, lourde de tournures désuètes et de personnages perclus de romantisme échevelé et de mélancolie languissante.

Le groupe d'adolescents auquel le narrateur appartenait est avide de légendes de collégiens, de mystères et de pulsions aventureuses entravées. Une lecture plus poussée aurait peut-être infirmé mon impression de lire un jumeau des Disparus de Saint-Agil ou Du Grand Meaulnes.

Premier - et j'espère - dernier abandon de mon Challenge ABC 2010. Voilà un roman qui, je pense, a mal enduré le passage du temps et qu'il faut lire jeune pour en apprécier l'exaltante atmosphère de mystère.

Le Livre de poche

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20 mars 2010

Entre l'art d'aimer d'Ovide et l'art culinaire d'Apicius

Premier roman de Lily Prior.

"La 'cucina', c'est le coeur de la 'fattoria' et la toile de fond sur laquelle s'inscrit la mémoire de notre famille, les Fiore." (p. 35) Rosa est la seule fille de la famille Fiore, installée depuis des générations dans le village de Castiglione, en Sicile. Née sur la table de la cucina familiale, entre une pâte prête à lever et des filets d'anchois, Rosa fait très vite de la cuisine son lieu d'élection. Réputée pour ses talents de cuisinière infatigable, Rosa puise réconfort et force dans la préparation de plats typiquement siciliens. Après la mort de Bartolomeo, son premier amour, elle quitte Castiglione pour Palerme. Pendant vingt-cinq, elle enterre sa nature ardente de femme gourmande entre les quatre murs d'un minable logement et les stricts rayonnages de la bibliothèque de la ville. Un matin, elle rencontre l'Inglese, un étranger aux manières délicieuses. Rosa redécouvre la vie et le plaisir auprès de lui. Mais en Sicile, la famille garde toujours un oeil sur ses membres égarés, et la famiglia, c'est toujours un peu la Mafia.

Le prologue de cette puissante histoire est énigmatique. Paragraphe surgi de nulle part, on se doute qu'il faudra revenir en arrière pour comprendre ce qui a permis l'accomplissement de cette scène aux teintes orgaiques. Le lecteur devient immédiatement voyeur, introduit de force dans une intimité chaude et odorante. Rosa, narratrice éloquente et impudique, organise son récit et sa vie en quatre parties, en quatre saisons qui offrent chacune leurs délices gastronomiques et amoureuses.

Tout au long du roman, cuisine et violence vont de pair. Rosa se bat contre les ingrédients pour leur donner forme, elle cogne et pétrit la pâte avec rage. La scène de la mise à mort du cochon est une réussite du genre. Cette "catharsis culinaire" (p. 40) intervient à plusieurs reprises. A chaque perte intime, Rosa cuisine, et avec panache. L'abondance de plats qui sortent de sa cuisine est digne des orgies romaines. Comme partout, on mange pour noyer le chagrin, pour surmonter la perte et l'absence, pour continuer à vivre.

La cuisine est aussi sensualité. Au-delà de l'élémentaire besoin de se nourrir, la gastronomie ouvre les portes du plaisirs. Si Rosa initie l'Inglese aux plaisirs de la confection culinaire, celui-ci lui fait découvrir l'immensité des plaisirs physiques, bien au-delà de la simple fornication. "L'art amoureux et l'art culinaire se complètent admirablement." (p. 142) Ôde aux plaisirs de la chair et de la chère, le roman se savoure page après page. Suivre un cours de cuisine avec Rosa, c'est continuer le voyeurisme, s'immiscer dans ses pensées, pétrir le même pain qu'elle et respirer les mêmes arômes capiteux. Entre L'art d'aimer d'Ovide et L'art culinaire d'Apicius, le roman de Lily Prior est un traité d'érotisme et de gastronomie qui se nourrit de références antiques, tels les textes d'Archestratos ou d'Athenaeus.

La Sicile est terre de Mafia. L'Etna, volcan nourricier et meurtrier, est une métaphore brûlante de la famiglia et de sa toute puissance sur l'île, et même au-delà, jusqu'à Chicago, où a prospéré un des frères de Rosa. Si la Mafia a ses mensonges et ses secrets, les familles de paysans ont les leurs, tout aussi cruels et violents. J'ai particulièrement apprécié la finesse avec laquelle l'auteure a introduit la Mafia, sorte de super-personnage ou d'entité aux contours flous, au sein de son récit, sans en faire une vulgaire histoire de borsalino ou de tête de chevaux ensanglantées.

Randolph Hunt, ou l'Inglese, est un personnage complexe, tout en mystères et en secrets. Britannique mais non flegmatique, l'homme est gourmand de tout, avide d'apprendre et de prendre, mais rétif à partager. Son ventre proéminent mis à part, je me suis représenté le personnage sous les traits du plus scottish des espions de sa Majesté, j'ai nommé Sir Sean Connery, aux belles heures de ses jours matures, loin du glabre jeune premier qui séduisait Ursula Andress en maillot blanc.

Au sortir de cette plaisante et divertissante lecture, menée à toute allure, j'ai été prise d'une furieuse envie de fusilli, de spaghetti, de cannelloni, de ciabatta, ... Pas de doute, l'auteure s'y connait pour nous mettre l'eau à la bouche! Voilà un texte chaud qui se lit rapidement et qui occupe plaisamment un après-midi printannier au soleil.