De sang, d'or, et de mort
Encore une fois, avec "Le portrait de mariage" Belfond, la grande Maggie O'Farrell, dont nous avons tant aimé Hamnet, ou encore I am Iam Iam nous emporte avec le destin de Lucrèce de Médicis, si sensible, si forte, et à la vie si courte. Lucrèce n'aurait jamais du épouser le Duc de Ferrare, avec lequel son père Cosme de Médicis souhaite composer une alliance prometteuse, si sa soeur ainée n'était pas morte prématurément. Qu'a cela ne tienne pour ses parents, et bien sûr quelque soit son avis, on marie Lucrèce, 15 ans, avec le Duc de Ferrare, puissant, ombrageux et obsédé par sa succession. Un an plus tard, la jeune Lucrèce ne sera plus et n'en reste que son portrait, peint par Le Bronzino, le très beau poème de Robert Browning, The Last Duchess ("She had
A heart—how shall I say?")
et maintenant le roman de Maggie O'Farrell.
Elle accomplit ce prodige de nous glisser dans l'intériorité de Lucrèce. Le livre se lit comme "la chronique d'une mort annoncée", et nous ne lâchons pas la main de cette jeune fille empêchée, qui découvre les aspects sombres et somptueux de la riche cour de Ferrare, la beauté de ses palais et de ses jardins, ses intrigues brutales et les différents visages d'un époux ambitieux, impitoyable, et grand amateur d'art. Magnifique plongée dans les beautés et les cruautés de la Renaissance Italienne.
Un formidable roman policier
❗️❗️❗️ GROSSE NUIT BLANCHE EN PERSPECTIVE❗️❗️❗️.
Tension constante avec la lecture de cet excellent polar "Une execution", chez Éditions Buchet/Chastel.
Ansel Packer est dans le couloir de la mort, son exécution est prévue dans 12 heures, il planifie une improbable évasion. Il ne peut pas mourir, il a trop de choses à dire au monde.
Sa mère, Lavender, la soeur jumelle de son épouse Hazel, et Saffy, l'enquêtrice policière qui partagea avec lui la même famille d'accueil et une même enfance fracassée entremêlent leurs récits avec le monologue d'un tueur détaché, aux émotions paralysées. Loin des romans habituels ou l'on explore la psyché tordue du Serial Killer, "Une éxécution" est une tragédie d'une puissante humanité. En interrogeant le sens de la peine de mort tout en imaginant un avenir aux victimes adolescentes du tueur dans les splendides dernières pages, Danya Kukafka nous laisse profondément émus, secoués, solidaires, dérangés, et probablement plus intelligents.
Les choses de la vie
Le titre du nouveau roman de Sigrid Nunez est emprunté à la philosophe Simone Weil, avec laquelle l'auteur entretient une sorte de compagnonnage littéraire. "La plénitude de l'amour du prochain, c'est simplement d'être capable de lui demander : "Quel est ton tourment"?". Cette attention et cette présence à l'autre est le fil conducteur de la merveilleuse oeuvre de Sigrid Nunez, lauréate du National Book Award en 2019 avec "L'Ami", livre profondément drôle et intelligent sur un deuil symbolisé par un gros chien très encombrant, que son propriétaire décédé laisse à une de ses meilleures amies.
On se rend compte, à la lecture de Sigrid Nunez que ne sont pas si nombreux les livres qui évoquent la force du sentiment amical, surtout lorsqu'il est porté à son point d'incandescence qui est le deuil. Dans "Quel est ton tourment ?", la narratrice se voit proposer par une de ses bonnes amies atteinte d'un cancer en phase terminale de l'accompagner dans ses derniers jours ("Tu n'étais pas mon premier choix", lui annonce t-elle drolatiquement d'emblée). L'amie malade a loué une jolie maison dans un cadre poisible et demande à la narratrice de rester auprès d'elle jusqu'au moment tenu secret qu'elle choisira pour se suicider,
Sur un sujet à priori difficile, Sigrid Nunez nous propose un roman d'une grâce infinie, d'une incroyable vitalité, fluide, drôle et renversant sur cette fameuse attention à l'autre, si chère à la philosophe Simone Weil, et sur la vie, "la vie désordonnée. La vie injuste. La vie qu'il faut bien affronter (...), c'est si court, après tout, une vie".
Vivre et mourir
L'expression "un livre coup de poing" est bien souvent galvaudée, hors "Formidable" est de ces livres de la lecture duquel vous sortez tout estourbi. Lu d'une traite, un peu en apnée, "Formidable" est sidérant dans son postulat de départ, puisqu'il y est question d'un parricide. Benoit Cohen, en accord aves sa mère, ses frères et le médecin de famille, décident de mettre fin aux jours de leur père en phase terminale d'un cancer foudroyant. Il n'est au courant de rien, attend juste d'aller un peu mieux pour revoir son toubib, et il a toujours refusé la maladie, et encore plus l'idée de souffrir. Cet homme, qui aima la vie plus que tout, ne voulait pas souffrir et sa famille l'y aidera. Récit ultra intime bouleversant, ce livre est également un plaidoyer vibrant pour une fin de vie mieux prise en compte, car si sur le papier, la loi Leonetti semble parfaite, dans la réalité, il n'y a pas de place en soins paliatifs...
Chroniques d'un deuil annoncé
"Comment j'ai tué mon père" est de ces livres que l'on a envie de relire à peine refermé, sidéré par la puissance de la littérature, et pour lequel le mot intensité semble avoir été inventé.
Le père de l'autrice, avocat colombien, est assassiné lorsqu'elle a onze ans. Sara Jaramillo Klinkert atteste donc que "35 grammes d'acier et un gramme de poudre peut détruire une famille".
Avec une écriture très factuelle et pourtant d'une grande émotion, Sara Jamillo Klinkert fait le récit d'une enfance exubérante et foisonnante, à l'image de ce jardin jungle tropicale qui entoure la maison familiale, jusqu'à cette déflagration qu'est l'assassinat de son père, la destruction de sa famille.
Sara, son frère ainé et ses trois cadets, tentent tant bien que mal de survivre au saccage de leur enfance, découvrant les uns et les autres qu'ils sont seuls, bien qu'ensemble, face à cette expérience radicale, face à une mère débordée, présente et solitaire, d'enfants qui se combattent pour gagner l'exclusivité de son attention.
Comment (et pourquoi) devenir un adulte, amputé d'une part de son enfance ?
A la fin de ce très beau livre, Sara Jamillo Klinkert conclue ses remerciements par cette adresse "A mon père, qui n'est plus sous terre désormais mais entre ces pages. Existe-t-il de plus bel endroit pour vivre que dans un livre ?".