Ludivine F.

Conseillé par (Libraire)
7 octobre 2024

Créatures et créateurs

Aussi original que profond dans ses thèmes abordés, plein de péripéties et de mystères, voilà un récit qu'on vous conseille très chaleureusement si vous êtes déjà un(e) fana des fictions dont le sujet principal est... le pouvoir de la fiction ! On navigue d'une histoire à une autre, d'une énigme à une autre, et petit à petit apparaît le dessin regroupant les lieux, les personnages et les temporalités. Un fascinant tricotage de liens de causes à effets qu'on n'aurait pu soupçonner au départ de l'histoire, ça, on adore ! Parlons maintenant de la façon dont tout ceci démarre.
Johann est une sorte d'artiste médecin à l'université de Schattengau, une petite principauté encastrée dans un coin des Alpes et fondée il y a 500 ans par le grand astrologue Mirabile. Y règne depuis le même temps la famille Von Grunewald dont l'actuelle femme du margrave a donné naissance à un enfant étrange, voilà de cela plusieurs mois. Le bébé, caché aux yeux de tous, a tous les attributs d'un faune : humain en haut, bouc en bas. Catherine Von Grunewald sollicite Johann dans le plus grand secret pour l'aider à comprendre l'état de son fils. Ayant subtilisé un très vieux manuscrit à son mari, elle le confie au jeune homme, lui intime de le lire puis de lui donner ses conclusions. Ce qu'il découvre au fil des pages ouvre dans son esprit une brèche par où s'engouffrent des idées totalement impossibles, des théories sur l'essence même de Schattengau. Faut-il les prendre au sérieux ? Et que signifient ces dessins de créatures folkloriques étranges gribouillés dans les marges, se faisant de plus en plus nombreuses à mesure qu'approche la fin ? Johann n'a que peu de temps pour rassembler ses idées. Le margrave et son homme de main recherchent le manuscrit et ne se priveront d'aucune brutalité pour le récupérer. Aidé par la roublarde Sofia qui compte bien assouvir une vengeance et par Renata, l'apprentie astrologue, il se lance dans une quête de la vérité qui les mèneront aux limites de ce qu'ils pensaient comprendre du monde et d'eux-mêmes. Splendide !

Les Presses de la Cité

20,00
Conseillé par (Libraire)
29 septembre 2024

Un pays très ancien où nous nous sommes aimés

On ressort de cette lecture avec une larme au coin des yeux et le sentiment d'avoir écouté les confidences d'une amie chère, sur un registre à la fois très personnel et très universel. Car nous avons tous vécu l'enfance et sa fin, et pour celles et ceux qui à leur tour ont eu des enfants, il leur a fallu assister, comme témoins cette fois, à la répétition du processus. Le roman s'ouvre sur une situation tout à fait banale qui n'en constitue souvent pas moins un drame personnel. La narratrice voit sa petite dernière quitter le nid, comme l'ont fait ses deux autres enfants avant elle. Pour une maman qui tant d'années durant a sans relâche administré son royaume, veillant au bien-être et à la sécurité de ses petits sujets, dispensant son amour, établissant les règles, accompagnant les grandes étapes de la vie, à la fois reine du château et bergère du troupeau, c'est le vide. Un vide insupportable, gorgé de chagrin.
Pour faire face, elle décide de reprendre sa thèse, abandonnée vingt ans plus tôt, un travail sur les dernières années de Jean-Jacques Rousseau. Celui-ci la ramène très loin en arrière, à l'époque bénie de sa propre enfance. Idéalistes, ses parents fuient la grande ville pour s'installer dans un endroit reculé, au milieu des champs, où ils entendent élever leurs enfants selon les principes de l'Emile : une très grande liberté, le loisir de vagabonder dans la nature toute la journée, l'autonomie et la curiosité avant tout. Ils retapent une vieille demeure en ruine et en font leur royaume. La narratrice s'éveille au chant du coq, ses compagnons sont les fils et filles d'agriculteurs et une ribambelle d'animaux de ferme. Pour elle, le paradis est ici et nulle part ailleurs. A quelques kilomètres se dressait le château d'un autre idéaliste de la fin du XIXe siècle, le marquis de Girardin. Rêveur, passionné de botanique et d'esthétique, il créa sur ses terres un Eden champêtre reflétant ses idéaux d'égalité et de liberté. C'est là-bas que son ami Rousseau passa ses vieux jours et souhaita finir sa vie. Les trois histoires et temporalités se mêlent alors pour nous conter la douceur des idéaux et le cruel retour à la réalité, lorsque l'utopie se fracasse sur la violence des hommes, la politique ou le capitalisme galopant. Il faut alors imaginer la suite, en chérissant ce que l'on a perdu, ou trouver un moyen de le faire exister pour toujours. Pour rendre immortels le petit village qui abrita son royaume et tous ses précieux souvenirs, Gwenaële Robert a choisi la littérature. On est touchés en plein cœur.

19,95
Conseillé par (Libraire)
27 septembre 2024

Vivre et mourir comme dans Shakespeare

Si vous cherchez un thriller psychologique aux personnages riches et complexes, un campus novel palpitant, une ambiance érudite et des sentiments extrêmes, n'allez pas plus loin et jetez-vous sur ce titre ! En plus d'une construction parfaitement maîtrisée et d'un rythme impeccable, If we were villains nous plonge intensément dans l'œuvre de Shakespeare, qui, nous le verrons, a de quoi faire perdre pied (et perdre la tête !) à nos personnages. M. L. Rio connait son sujet puisqu'elle a décortiqué en long, en large et en travers les pièces shakespeariennes à l'université, d'où ce foisonnement de références qui est un véritable régal. A la lecture, on imagine les innombrables heures que l'autrice a passé à son bureau ou à la bibliothèque à compulser des recueils de théâtre, analyser le sens profond de Macbeth, Jules César, Roméo et Juliette ou encore Le Roi Lear, puis sélectionner avec soin les répliques qu'elle glisse tout au long du récit dans la bouche des personnages.
Ceci étant dit, passons à l'intrigue. Où ? Dellecher, une prestigieuse école d'Art américaine. Qui ? Sept amis en études théâtrales. Coachés dans leur apprentissage de comédiens par deux professeurs un peu particuliers, Oliver, James, Meredith, Wren, Richard, Alexander et Filippa passent leurs journées l'esprit plongé dans les pièces de Shakespeare. Cette année est leur dernière à Dellecher, la fin de leur parcours avant de devenir de véritables professionnels. Soudés comme les doigts d'une main, ils pensent se connaître par cœur. Chacun tient son rôle, sur scène comme dans la vie. Il y a l'ingénue, le rebelle, le héros, le despote, la femme fatale... Certain(e)s se plaisent à espérer qu'enfin on leur confie un rôle différent de leur archétype attitré, et il semble qu'en effet, la répartition réserve quelques surprises. Mais à force de ne vivre que pour des histoires de vengeance, de trahisons, de fantômes et d'amour dramatique, une sombre folie s'empare du groupe, jusqu'à l'irréparable... Haletant et bouleversant, cette histoire nous hantera longtemps !

Conseillé par (Libraire)
15 septembre 2024

La gloire de nos ancêtres

Par une intuition géniale, une poignée d'archéologues décide de creuser au milieu de dunes de sables, sur le littoral de la capitale. Grand bien leur en a pris puisqu'ils exhument à la surprise générale des restes d'une ancienne cité appartenant aux Morgondes, ce peuple qui vécut dix siècles auparavant et qui fait déjà l'objet de comptines et légendes. Qui étaient-ils, comment chassaient-ils, à quoi ressemblait leur artisanat, leur culture ? Toutes ces questions vont bientôt connaître des réponses grâce à ces fouilles miraculeuses ! L'Empereur est aux anges. Les Morgondes sont ses ancêtres et ceux de son peuple, et s'il y a bien une chose qui renforcera l'unité du pays et consolidera son rayonnement à l'international, c'est cette découverte. Alors il ne lésine pas sur les moyens ! Des fonds publics sont débloqués, les journaux publieront toutes les semaines un bulletin pour informer la population des trouvailles des archéologues et c'est Martabée, une historienne de renom, qu'il embauche pour les écrire ! Celle-ci ne croit pas sa chance. Travailler sur ce chantier représente l'accomplissement de sa carrière. De plus, elle sera logée dans une somptueuse villa avec une vue imprenable sur la côte, elle qui aime tant la mer. On ne peut rêver mieux. Les fouilles sont lancées, les mois passent. On découvre une salle du trône impressionnante, des tombeaux où les guerriers étaient enterrés au milieu d'ossements de baleines gigantesques, des objets d'Art, des techniques remarquables pour l'époque. Tout le monde est en ébullition et l'Empereur, comme Martabée, jubilent. Cette dernière pourtant verra son enthousiasme mit à rude épreuve après une découverte qui la force à relire l'histoire de ce peuple aimé sous un tout autre angle. Comment raconter le mythe à l'aune de ces connaissances nouvelles ?
Ce roman au style très fluide et imagé se lit d'une traite et fait autant écho à des œuvres dystopiques où le gouvernement se targue de réécrire la vérité qu'à des épisodes bien réels de notre histoire politique contemporaine. Le cheminement intellectuel et émotionnel de Martabée nous tient en haleine et l'on ne peut que se questionner sur la construction de notre propre récit national occidental, qui glorifie certains événements et en laisse d'autres dans l'ombre en espérant que l'on n'y regarde pas de trop près. L'humain a besoin de modèles et de héros, mais à quel prix ? Intelligent, profond, à découvrir !

Conseillé par (Libraire)
8 septembre 2024

L'envers des comptines

C'est l'histoire d'événements qui se répètent depuis la nuit des temps. On y trouve des allusions dans les comptines pour enfants, les chansons qui passent de générations en générations, les tableaux des peintres, les rumeurs de village. Les armoires et les remises des vieilles maisons en sont pleines. Des indices de ce qu'il s'est passé et se passe encore sont visibles partout pour peu que l'on observe du bon angle et que l'on sache où et quoi chercher. C'est l'histoire d'hommes tout puissants dans leur demeure et sur leur terre, de leurs désirs assouvis de gré ou de force et des désidératas qui en firent les frais.

Mais déployons le petit théâtre de papier pour raconter l'une de ces histoires, prise au hasard, car elles se ressemblent toutes un peu. Nous sommes à Noirax et cette grande maison qui s'élève en lisière de la forêt est celle du père Berthoumieux, le père aux ânes. Avant cela, il y avait son propre père, celui aux moutons. Puis avant celui aux tourtes et encore avant, celui aux bufflonnes. Même sang, mêmes comportements. Berthoumieux est un petit seigneur, d'ailleurs, il se verrait bien maire. Il ripaille généreusement, chasse, cueille, boit : autour de lui c'est l'abondance. Sa femme ? Décédée, il y a un moment déjà. Ah qu'il serait bon d'avoir de nouveau une présence féminine à la maison, mais une fraîche, mignonne, jeune, pas comme cette bougresse de servante qui a été désirable autrefois mais en a bien perdu. La chance semble sourire au père lorsqu'il reçoit dans son courrier une candidature. Aliénor, agricultrice, éleveuse, productrice d'absinthe, femme à tout faire, se propose de lui offrir sa nombreuse palette de talents et de faire fructifier sa terre comme jamais. En échange de quoi, il devra la nourrir, l'abreuver, lui offrir un bon lit et ne pas la toucher lorsqu'elle dort. Il en salive d'envie... Oh que oui il va la faire venir ! Mais le père ne sait pas dans quoi il s'embarque. Aliénor est un petit chaos, une flamme en colère. Et elle vient pour mettre fin à un règne. L'écriture de Marie-Hélène Poitras est ciselée, gourmande, charnelle et onirique. A la lisière de la tragédie et du conte noir, elle nous prend par la main pour nous entraîner dans ses fantasmagories et l'on n'a pas envie de la lâcher tant l'intensité de sa plume nous happe. Pères, gare à vous : les petites filles grandissent...